OUT


Par une moite nuit de Juin, une femme allume une cigarette sur un parking de banlieue sinistre, sous un ciel sans étoiles. L’air poisseux sent légèrement la friture, remugle omniprésent autour de l’usine d’emballage de plateaux repas où Masako Katori travaille à la chaîne.

Malgré l’épuisement que représente cinq heures et demi de dur labeur, à répéter le même geste le long du tapis roulant sans jamais une pause, quelques femmes ont sympathisé.

Ne croyez pas que les circonstances soient particulièrement propices à l’amitié, non, c’est surtout qu’il est encore plus impossible de supporter la cadence sans s’entraider.
Couverture OUT de Natsuo Kirino

L’équipe de nuit est composée en majorité de femmes au foyer, dont les faibles revenus les contraignent à travailler à temps partiel. Ces horaires peu compatibles avec une vie de famille, la fatigue et le stress sont autant de facteurs qui les ont peu à peu aliénées du rythme et des préoccupations des êtres diurnes.
Masako retrouve donc chaque soir Kuniko, Yoshie et Yayoi. Elles discutent en se changeant dans les vestiaires, en coinçant leurs longues mèches dans le filet à cheveux, en nouant le tablier de plastique, en frottant la sauce collée sur leurs semelles. Elles partagent ce désespoir qui vide l’esprit relevé de traits d’humour noir, de répliques cinglantes qui fusent derrière les masques aseptisés.

Elles ne se ressemblent pas. Il y a Kuniko, célibataire complexée et superficielle qui moule ses formes bovines dans des tenues griffées qu’elle ne peut se permettre. Il y a Yoshie, doublement épuisée par la belle-mère invalide et incontinente dont elle s’occupe pendant la journée, et ses filles adolescentes. Il y a Yayoi, la jeune mère au visage sans défaut mais qui cache sous son T-shirt un hématome au plexus, laissé par son mari. Enfin, il y a la charismatique Masako, étrangère dans sa propre maison entre un mari et un fils qui ne lui adressent pas la parole. Elles ont en commun les dettes, les ennuis et le mal de dos irrépressible qui se fait sentir après la première heure d’emballage de repas au curry.

"I want to ask you a favour," said Kuniko in her sweetest tone of voice, intent on winning over a hostile Masako and getting at least 55,200 Yens out of her, plus a little extra to live on, hopefully.

Et finalement, Yayoi craque un soir chez elle. Dans un accès de rage, elle étrangle avec sa propre ceinture son mari infidèle et joueur. Paniquée, elle appelle Masako qui décide de l’aider à se débarrasser du corps. C’est Masako, fiable et si étrange, qui prend tout en charge et enrôle Yoshie, puis Kuniko pour s’acquitter de la morbide mission de découpage du cadavre. Mais la police se laissera-t-elle prendre à leur subterfuge quand les morceaux seront découverts ? Et lorsqu’un yakuza ultra-violent s’intéresse à leur cas, comment pourront-elles échapper à leur sort ?

Satake seemed different from the other customers, who tended to be either self-conscious and shy or too full of themselves. He closed his eyes, as if enjoying the sound of Anna's voice, then opened them and studied the movement of her lips as she talked, like one of the teachers at her Japanese school. It made her nervous, as if she'd just been called on in class.

Réaliste, rapide, direct, le style de Natsuo Kirino illumine au néon blafard ce thriller qui tord le cou à bon nombre de clichés sur les femmes Japonaises. Murs gris des entrepôts Tokyoïtes, terrains vagues et banlieue industrielle, cercles de jeux clandestins et maisons de passe, le décor est idéal pour explorer la psychologie de personnages féminins victimes des circonstances mais déterminées à survivre. C’est un roman sans concessions, susceptible de choquer, mais qu’on ne peut s’empêcher de dévorer pour en savourer les obsessions, jusqu’à la conclusion paroxystique, où sexe et mort se rejoignent.

Déjà récompensée par plusieurs prix littéraires au Japon où son best-seller OUT a été adapté au cinéma, Natsuo Kirino est traduite pour la première fois en anglais.


Stig Legrand - Août 2005

Natsuo Kirino, « OUT », traduction Stephen Snyder,
Random House, Vintage, septembre 2004, 388 pages;
10,76 Euros - ISBN : 0099472287

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