Il est Zenith O’Clock à Manchester
Depuis Vurt et le bouleversement
provoqué par ce premier roman chez les lecteurs de science-fiction
des années 90, Jeff Noon n’a jamais déçu.
Pollen a confirmé un univers visionnaire gravitant autour
d’un futur proche décalé vers un rêve surprenant.
Qualifié de Lewis Carroll du Manchester moderne, Jeff Noon répond
par Automated Alice, un exercice autour du texte d’origine,
fidèle au style initial mais complètement disjoncté.
Suit Nymphomation sur les thèmes de l’intelligence
artificielle et de l’autonomie de l’information. Pixel
Juice, recueil de nouvelles essentielles, déchire un peu
plus les limites de l’ancien monde. Enfin, Needle in the Groove,
premier roman dub au monde, s’approprie les techniques de mix
samplées sur la musique électronique, pour mieux servir
une narration résolument post futuriste.
Etymol, Anagramethane, Hyperbolehyde…
Avec Cobralingus, Jeff Noon se maintient à
l’apogée de son art et se paye le luxe de faire des cabrioles
stylistiques, au firmament d’un ciel de pixels déclinés
en millions de couleurs.
Algorythme du moteur serpent-verbe : un texte évolue à
travers des filtres mutagènes. Pour s’émanciper
des vieilles contraintes, aucun texte ne devrait rester figé.
Comme dans le dub, le fond et la forme explorent le territoire de talent
du conteur.
Exemples d’auteurs samplés par Jeff Noon : Shakespeare,
de Quincey, Emily Dickinson, l’Ecclesiastes.
C’est là qu’interviennent les filtres : «DECAY»
qui dissout doucement le texte, le dissipe, corrompt le signal, «SAMPLE»
qui ajoute de la matière spécifique au projet comme des
symboles chimiques ou des noms de DJs… Des filtres violents comme
«EXPLODE», des filtres radicaux comme «PURIFY»,
d’autres puissants comme «DRUGS». Les produits destinés
au texte, appelés à éclater le langage, portent
des noms qui agissent déjà comme des virus à eux
seuls : Onomatopiates, Litotezol, la sublime Metaphorazine et de
nouvelles molécules virales qu’il reste à inventer
!
Ghost in the machine
Le texte voyage par ces portes, se déconstruit.
Gagne et perd du sens. Résonne dans chaque pore du lecteur. Remodèle
les perceptions. Sinueux, le serpent-mot se glisse dans l’oreille,
s’insinue dans l’oeil, spirale autour des synapses et se
connecte directement sur les neurones.
Ce beau livre Codex a même inspiré Brian Eno ! Séduit
par le jeu du langage de Cobralingus, le musicien a composé un
morceau basé sur les textes. Cette métamorphiction est
bien un manifeste, un signe de conscience propre au langage. Brian Eno
ayant lui-même aussi inspiré Cobralingus par son jeu de
carte créatif des «Obliques Strategies», la boucle
est bouclée quand le texte et la musique prennent un nouvel aspect
visuel. Le sens surgit quand les sens s’emmêlent.
Word junkie
Enfin pour conclure, voici les mots que n’arrête
pas de me glisser à l’oreille cette «blurb»
publicitaire depuis qu’elle m’a repérée en
train d’écrire cet article :
«ATTENTION après s’être injecté l’essence
de la musique du précédent ouvrage, vous allez être
baigné dans un samadhi verbal qui ne peut que vous faire basculer
dans la poésie incarnée. Gare aux indécis : la
formule fonctionne, la magie est à l’oeuvre chez les artistes,
chez les nouveaux shamans venus de Manchester !»
Les noonismes ont décidément le pouvoir de créer
le monde, accueillez le langage à l’état liquide.
Le site dédié
à Cobralingus
Le site officiel de
Jeff Noon
Extrait de Cobralingus
adapté en Flash "Pornostatic Processor"
Stig Legrand - Novembre 2002