La foire aux serpents


"Et si le Jerry Springer show était une allégorie de la condition humaine ?" a écrit avec justesse un lecteur du roman de Harry Crews.

Dans un style inimitable qui mêle l'atroce et le cocasse, "La Foire aux Serpents" écrit en 1976, ligote le touriste bibliophile au siège passager d'une Porsche maculée de la poussière des bleds de l'Amérique profonde, avec un péquenot psychopathe au volant.

Spécialiste des hordes marginales assoiffées de sang, Harry Crews (motard, Marine, maniaque) ouvre les grilles du chenil de Big Joe, une brute alcoolique qui entraîne des pitbulls à Mystic, Géorgie. Combats de chiens, défilés de pompom girls et surtout, chasse au serpent sont au programme.

WHITE TRASH, HUMOUR NOIR

A l'occasion de la douzième édition de la foire aux crotales, dingues des reptiles et dégénérés locaux se rencontrent une nouvelle fois sur le terrain de camping. C'est le genre d'endroit où on trouve plutôt des mosaïques en serpent à sonnettes que des lunettes d'écailles. On n'y croise pas de Hells Angels mais un ancien du Vietnam fou de la gonflette qui se croit obligé de prouver sa virilité, un ex joueur de foot désespéré armé d'un fusil à pompe, un prédicateur qui embrasse des cobras en brandissant la Bible. Et ils sont plusieurs milliers comme ça sous la responsabilité de Buddy, le shérif lubrique à la jambe de bois.

En attendant l'élection de la nouvelle Miss Mystic à Sonnettes, les filles les plus sexy de la région, Hard Candy, Bérénice et Susan répètent des figures de majorettes entre les caravanes, tandis que la télé qui hurle, couvre les cris des uns, les silences des autres. Il y a de la bagarre dans l'air, l'ennui et l'agressivité s'alimentent et la mort n'est jamais loin.

WHITE LIGHT / WHITE HEAT

Pendant ce temps, les pitbulls, féroces jusqu'à la folie, y a que les chiens pervertis par dressage qui sont comme ça, révèlent leur nature de machine à tuer avec une dignité sauvage. "Des volutes de poussière et éclaboussures de bave scintillante" soulignent le réalisme de la cruauté qui régit les rapports des personnages de cette tragi-comédie extrême.

"Il hurlait, ni un cri de joie, ni un cri de colère, juste un rugissement."

Si quelque part dans les personnages, il y a une graine de démence qui les force à payer le prix et en fait d'improbables héros, elle pousse dans un reste de gnôle au pire, de whisky au mieux. Les jeunes du village sont comme tous les jeunes : bière et dexédrine, sexe bâclé, besoin de hurler. Ils ont l'accent plouc et faut pas les chauffer.

Nous sommes là pour explorer leur solitude, vicissitude, partager quelques jours leur destin et rire à leurs dépends. Iggy Pop aurait pu composer la "Ballade de la Fille de Mystic". Ici, pour survivre, il faut avoir des couilles ou une écriture musclée.


"A Large and Startling Figure" Le site sur Harry Crews en VO

Stig Legrand - Janvier 2003

Harry Crews, "La foire aux serpents" Réédition Folio Policier - 257 pages (2000
Original : 1976 - ISBN : 2-07-041488-4 )

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