Playlist

Il y a un plaisir bien particulier à agencer sa propre compilation, et pourquoi les écrivains y seraient-ils insensibles ?

Chaque morceau résonne comme un fragment de vie, la bande son d’une époque, une vague de riffs sur laquelle surfent toutes sortes d’émotions avant de se coucher sur le papier, devenant des histoires.

Plaisant, et pas difficile : voici sa synthèse personnelle gravée sur CD ou devenue un petit livre qui s’attirera la sympathie des fans de musique et des lecteurs de bouquins ne dépassant pas 200 pages.

"T'écoutes quel genre de musique?" était sans doute la question à laquelle il lui était le plus difficile de répondre (juste après "Tu m'aimes?"). Elle se méfiait comme de l'hépatite C des gens qui répondaient "Un peu de tout" (en général ça voulait au moins dire Björk). Pour couper court à toute conversation elle disait "Euh...?? Dr Feelgood, Rockpile, Graham Parker..." Sur les conseils de l'autre. Ca marchait à tous les coups. Dégage..." [Des accidents arrivent]
Couverture Playlist de Christophe Ernault

Quatorze nouvelles aux titres rock’n’roll (Chiapas State of Mind, 20ème Dépression Nerveuse…) : autant de plages de la playlist, de textes courts comme les pistes d'un album. Première écoute : ça fonctionne ! Dans un style direct et percuté, qui télescope listes, fragments de chansons traduites, phrases lapidaires et humeurs massacrantes en chapitres minimums, Christophe Ernault trouve le beat et captive le lecteur pour quelques minutes.

"La sursollicitation culturelle actuelle empêchait tout être sensé, possédant un minimum d’amour-propre, d’accorder plus de 10 heures de sa vie à une œuvre littéraire quelle qu’elle soit… Le temps nous était compté." [Epigogue]

La corde ou l’gaz ?

De la première page, avec un Lennon qui traîne sa mort chez un Léonard solitaire, enfermé dans son petit appart avec sa névrose, jusqu’à la dernière track-list rédigée par le même Léonard, chômeur scotché sur les toilettes, les mœurs actuelles de l’espèce urbaine sont décryptées sans enlever les écouteurs.

J’ai suivi les minables aventures d'un petit dealer gourmand de gaufrettes goinfré aux Pixies, traumatisé la dernière livraison de beautiful people sous les caméros du Loft à grands coups d’Iggy Pop, démonté un téléviseur daubesque sur le White Album des Beatles, sifflé du Coltrane et du Mingus, regardé deux ex-jeunes faire l'amour sur un Ten CC plagié par Billy Joel, listé les autres plagiats les plus flagrants par la même occasion... Puis après un détour en plein Lewis Trondheim époque la Mouche, j’ai touché le fond avec une Irlandaise qui chantait Subterranean Homesick Blues dans le métro. Puis, je me suis enfermée dans un F2 avec Mozart jusqu'à ce que mort s'en suive.

"La chambre dans laquelle il se trouvait était inintéressante au possible. De piteux posters de Stéphanie Seymour tapissaient les murs. L’ameublement était puéril, incommode, irresponsable et crade. Une masse de livres et de CD gisait éparpillée ça et là, mais ne suffisait pas à égayer la pièce. Une fragrance d’abandon planait sur tout et pénétrait tout." [L’enlèvement au F2]

Certains thèmes se repiquent d’une nouvelle à l’autre, comme des leitmotivs samplés dans la vie quotidienne en territoire ennemi : les nez, fort importants, qui font montre d’une ampleur de narines digne de commentaires variés ; des physionomies qu’il n’était pas facile d’oublier ; des appartements témoins des mêmes vicissitudes…

"Il faut rencontrer Candy quand elle est ivre. Au Sancerre blanc. Sa bêtise devient alors abyssale. Elle a le mal de terre. Dissipée. Elle regarde à travers son verre les fesses de tout le monde. Les commente. Les note sur 20. Gimmick lubrique. Soit. Les fesses étaient pour elle l’avant-garde de la libido. Et de la sédition. Tout en étant fonctionnelles. Elles la fascinaient autant qu’elle les abhorrait. […]" [Candy lit]

Ceci posé, d’une piste à l'autre de cette Playlist à l’humour carrément noir, j'ai rencontré des gars et des filles égarés qui m'ont plutôt fait rire. Et paf le chien, et clac la girafe ! Vous aurez compris que les histoires d’Ernault finissent mal, en général.

Stig Legrand - Septembre 2005

Christophe Ernault, « Playlist », aNTIDATA, avril 2005, 141 pages;
9,5 Euros - ISBN : 2-9519826-1-5

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